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la Die zette
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2 mai 2008

Les OGM

Article publié le : 29/04/2008   
Agricultures, OGM et guerre des mondes
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Les OGM  ont mobilisé le débat politique de ces dernières semaines. Comme les agrocarburants, ils relèvent d'une vision de l'agriculture soutenue par l'agro-industrie, mais inadaptée aux besoins de l'immense majorité de l'humanité.

Les récentes violences en Haïti et les manifestations en Egypte, les émeutes en Indonésie, les tensions au Burkina Faso, au Cameroun, en Bolivie et au Mexique ne sont que les premiers symptômes d'une grave crise de structure des modes de répartition des productions agricoles dans le monde. La planète se dirige vers une très longue période d'émeutes et de conflits liés à la hausse des prix et à la pénurie des denrées alimentaires, estime Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation. Avant la flambée des prix déjà (...) 854 millions de personnes étaient gravement sous-alimentées. C'est une hécatombe annoncée, met en garde M. Ziegler, qui s'en est pris par ailleurs aux agrocarburants, qu'il a qualifiés de « crimes contre l'humanité »*.

Il est urgent de repenser le modèle alimentaire de demain. Comment éviter la multiplication d'émeutes de la faim dans des pays qui ont perdu toute souveraineté alimentaire sous la pression du marché mondial ? Les OGM peuvent-ils résoudre la famine ? Est-il encore temps de promouvoir une alternative à un modèle agricole façonné par les institutions financières et économiques mondiales, qui surproduit d'un côté et affame de l'autre ? Les réponses à de telles questions sont à rechercher dans les travaux de l'Evaluation des sciences et technologies agricoles au service du développement. Cette organisation intergouvernementale encore méconnue, l'IAASTD (International Assessment of Agricultural Science and Technology for Development), est parrainée par la FAO, le PNUD, l'OMS, l'Unesco et le PNUE.

Un Grenelle international de l'agriculture

Sa méthodologie originale, ouverte à la société civile, évoque un Grenelle international de l'agronomie. Son fonctionnement en réseau international d'experts la rend comparable au GIEC, fameux groupe d'études sur le climat, placé sous l'égide des Nations Unies. Coïncidence, le président de cet organisme agronomique international, Robert Watson, connu pour son dynamisme et son engagement en faveur de la cause du climat, fut à la tête du GIEC, jusqu'à sa mise à l'écart par l'administration Bush pour ses positions radicales.

Les conclusions des 400 experts internationaux de ce groupe intergouvernemental, agronomes et spécialistes de l'alimentation, fournissent un foisonnement de pistes pour l'avenir. L'IAASTD propose une réorientation autour des savoirs locaux et communautaires, afin de retrouver une autosuffisance alimentaire, explique le Français Michel Dodet, de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), membre du bureau de l'IAASTD. On ne peut pas jouer sur le seul facteur de la technologie.

L'agro-écologie se présente comme l'alternative au modèle de l'agro-industrie, intensive et spécialisée. Fondée sur la prise en compte des écosystèmes dans les pratiques agricoles, elle a été prophétiquement théorisée par René Dumont dès les années soixante-dix. La voici reconnue sur la scène internationale. Les savoirs agricoles recoupent des pratiques diverses, qui renvoient à des conceptions parfois antinomiques du rôle des agricultures, de leur mode de production et de leur type de rapport à l'environnement, inhérent aux sociétés dont elles relèvent. Il n'y a pas une vision de l'agriculture, mais une multitude de pratiques et de savoirs agricoles, dont « les pouvoirs politiques et économiques ont eu tendance à ne privilégier qu'une seule dimension »**, selon une logique de profits à court terme plutôt que selon une approche privilégiant des pratiques soutenables pour les agro-écosystèmes. Cette logique a suivi les prescriptions d'une partie du monde agricole, liée à l'agro-industrie, au détriment des savoirs paysans vernaculaires. Le rapport insiste sur la nécessité de « réencastrer » les activités agricoles au sein de leurs terroirs, en fonction d'échelles et de systèmes de gestion variables selon les territoires.

Régimes juridiques et visions conflictuelles

Ces conflits de vision parcourent le droit international. L'Organisation mondiale du commerce est parvenue à faire prévaloir l'accélération et la libéralisation des échanges de marchandises, quels que soient leurs impacts sociaux, culturels et environnementaux et leur méthode de fabrication. Ce régime de libéralisation draconienne s'est révélé profitable aux pays riches, à l'agro-industrie et aux oligopoles industriels. Quant à la défense de la diversité locale et des petits producteurs, elle ne relève pas des préoccupations de l'OMC, mais se retrouve dans le Protocole de Carthagène sur la biosécurité adopté en 2000, issu de la Convention des Nations Unies sur la biodiversité de 1992. Ce Protocole donne aux Etats qui l'ont ratifié la possibilité de refuser l'importation sur leur territoire d'organismes vivants génétiquement modifiés au nom de la protection de la biodiversité. Les négociations résultant de ce Protocole sont en cours. Elles doivent définir, au plus tard en mai 2008, le futur régime de responsabilité auquel les industries biotechnologiques, productrices de semences transgéniques, seront soumises.

La France a pris acte de la possibilité juridique de suspendre l'autorisation du maïs transgénique MON 810, en faisant jouer la clause de sauvegarde en janvier dernier. Mais au printemps, pressé par les lobbies de l'agro-industrie et par le retard pris dans la transcription de la directive européenne 2001/18, le gouvernement a présenté la loi OGM, dans laquelle les décisions du Grenelle de l'environnement sont apparues dénaturées.

Les travaux du Grenelle de l'environnement se sont en effet interrogés sur la coexistence possible de la diversité agricole avec la diffusion à grande échelle d'organismes génétiquement modifiés. L'intergroupe sur les OGM s'est inquiété de la réduction de la diversité des cultures en cas de recours généralisé aux semences transgéniques. La liberté de cultiver et de consommer sans OGM est devenue le principe pivot du Grenelle. Mais elle s'est transformée, dans la loi adoptée de justesse en première lecture à l'Assemblée nationale le 9 avril dernier, en liberté de cultiver avec ou sans OGM, renvoyant dos à dos deux visions antinomiques de l'agriculture, à charge, pour les préfectures, de régler au cas par cas les problèmes posés par la « coexistence » problématique de cultures de terroirs et de monocultures transgéniques.

Au-delà du débat technique, c'est une interrogation sociétale qui a sous-tendu le débat parlementaire. Le retentissement de l'amendement Chassaigne, le fameux « amendement 252 », signale la discordance de modèles et d'échelles de développement à terme incompatibles. Cet amendement prévoyait effectivement que l'utilisation des OGM ne pouvait se faire « qu'en respectant non seulement l'environnement et la santé publique, mais aussi les structures agricoles, les écosystèmes régionaux et les filières commerciales qualifiées sans organismes génétiquement modifiés ». Un autre amendement, issu du groupe majoritaire UMP, a été voté à l'unanimité dans le même esprit. Il précisait que « la liberté de consommer et de produire avec ou sans OGM » doit se faire « sans que cela nuise à l'intégrité de l'environnement et à la spécificité des cultures traditionnelles et de qualité ». L'empressement du gouvernement à en atténuer la portée par un sous-amendement signale que le ver est dans le fruit, et que la loi OGM pourrait être victime de ses propres incohérences : biodégradable, en quelque sorte.

Il n'est pas sûr que, dans cette guerre des mondes agricoles, Monsanto gagne la bataille. Les utilisateurs de semences transgéniques prendront-ils le risque de contaminer le champ du voisin alors qu'aucune compagnie d'assurance n'est prête à couvrir des risques encore mal estimés ? Il est encore moins sûr qu'à l'heure où le sac de 50 kilos de riz coûte plus de 70 dollars là où 80% de la population vivent avec moins de 2 dollars par jour, les semences sous brevet de Monsanto constituent une réponse à la pénurie alimentaire, au changement climatique et à la concurrence effrénée des producteurs du Nord. On se souvient des slogans de Monsanto promettant monts et merveilles grâce au riz doré transgénique enrichi en bétacarotène. Et on attend encore les prouesses du riz résistant à la sécheresse et capable de pousser dans des eaux saumâtres.

L'agriculture de demain sera sans doute plus proche de l'agriculture biologique d'aujourd'hui que des grandes monocultures transgéniques qui ont transformé une partie de l'Argentine en désert vert de soja monochrome, destiné à nourrir le bétail des peuples européens et des classes moyennes chinoises, carnivores impétrantes. Certes elle bénéficiera de tous les acquis de la science moderne pour être à la fois productive et durable. Mais il faudra surtout changer de modèle agricole, manger moins de viande, soutenir les plantes locales en Afrique comme le mil, réorganiser les marchés locaux et développer les circuits courts.

Agnès SINAI

*Libération, 14 avril 2008
** http://www.agassessment.org/

la fée clochette

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